L'Angoisse
L'Angoisse
Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs
Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales
Siciliennes, ni les pompes aurorales,
Ni la solennité dolente des couchants.
Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, des chants,
Des vers, des temples grecs et des tours en spirales
Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales,
Et je vois du même oeil les bons et les méchants.
Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie
Toute pensée, et quant à la vieille ironie,
L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus.
Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille
Au brick perdu jouet du flux et du reflux,
Mon âme pour d'affreux naufrages appareille.
L'Angoisse est un poème de Paul Verlaine, auteur du XIXe siècle appartenant au Symbolisme. Il paraît en 1866, dans son premier recueil Poèmes saturniens. Cette oeuvre, composée de plusieurs parties, traduit la mélancholie et la tristesse, dans un registre élégiaque.
Ce poème comporte deux quatrains et deux tercets : il s'agit donc d'un sonnet. On trouve des rimes embrassées dans les quatrains et dans les tercets, on rencontre différentes dispositions.
A cette époque, Verlaine se trouve dans un état dépressif suite à la mort de son père et d'un chagrin d'amour ("L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus."). Ainsi, le poète nous montre qu'il souffre de cette situation. Cependant, Verlaine est réputé pour être rêveur, instable, incapable de s'adapter dans la société et plein de regret. L'allitération en [n] exprime la négation, le refus de la réalité.
L'allitération en [i] évoque un son aigu, accentuant le désordre mental de Verlaine. Verlaine "rit de l'Art, [...] de l'Homme", de la poésie et de l'Antiquité.
Dans le premier quatrain, on observe des enjambements ("pastorales siciliennes" / "champs nourricières"). Les rimes sont riches (2-3 sons communs). Malgré la tristesse et la banalité évoquée, ce poème reste fluide, harmonieux et musical.
Le poème exprime donc, comme le titre nous l'indique, l'angoisse de Verlaine mais aussi son pessimisme face à une suite d'échecs.
Scène de naufrage de Louis-Philippe Crépin (1772-1851)
Juliette Bois